Aujourd'hui nous sommes tristes. Ce blog est en deuil.
Elliott nous a quittés. Il avait presque 17 ans.
Le texte qui suit a été écrit par Eric. Il a rédigé les articles du premier blog de l'association et il a eu la gentillesse et la délicatesse de nous offrir sa plume pour ce dernier hommage à notre ami.
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Que l’on me pardonne cette intrusion en ces lieux, mais il ne m’était pas possible de l’éviter. Il se trouve en effet que c’est ici, que je dois honorer un rendez-vous que j’ai depuis maintenant plus de sept ans, avec un chat nommé Elliott. Notre dernier rendez-vous.
Durant ces années, je n’ai jamais su quant il aurait lieu, ni même comment il serait rendu possible. Je savais seulement qu’il aurait lieu, avec cette certitude sereine qu’ont tous ceux qui n’imaginent plus un seul instant que les faits et les actes de nos vies puissent être le résultat du pur hasard et des probabilités, mais au contraire, le pur produit d’un déterminisme parfait.
Avant d’en venir à ce dernier rendez-vous, je voudrais juste dire que durant ces années, j’ai marché droit en direction du but qui est le mien, avec pour seul mot d’ordre, de suivre le chemin, sans un regard derrière moi : surtout ne plus se retourner. Jamais.
C’est ce mercredi matin, 7 septembre, peu après 7 heures que je trouvais dans ma messagerie un mail de Laura, rédigé à 6h50, intitulé Elliott.
Avant même de l’ouvrir, je savais que dans ce message, se trouvait la nouvelle attendue et redoutée depuis quelques semaines, qu’Elliott s’en était allé. Laura ne m’en voudra pas je crois, d’en livrer l’exact contenu, ce message appartient désormais à l’Histoire des chats de l’hôpital depuis les origines :
« Tu es le premier à le savoir, il s'est endormi il y a une heure … »
L’instant était venu pour moi, d’aller à mon dernier rendez-vous avec Eliott.
Je me suis d’abord figé comme chacun le fait en de telles circonstances. Cherchant en vain à refouler les larmes, j’ai porté mon regard vers les cieux comme pour y chercher les ultimes traces de ceux qui ont pris la route, pour l’endroit d’où personne n’est revenu jamais, avant de réaliser que pour honorer mon rendez-vous, je n’avais d’autre alternative que celle de devoir … me retourner.
Et en me retournant, j’ai tout revu et j’ai tout retrouvé.
Par flash, mais avec une acuité qui m’en restituait chaque détail, chaque atmosphère, chaque état d’esprit, jusqu’à la luminosité même de l’instant, je revis mes trois précédents rendez-vous avec Elliott.
A commencer par le premier face à face, au hasard des points de nourrissage. Il était venu chercher quelques croquettes et s’était retrouvé face à un nouvel intrus sur SON territoire. Qui n’a jamais vu Elliott ne peut savoir à quel point sa stature pouvait impressionner.
Jamais ni avant ni après, il ne me serait plus donné l’occasion d’être confronté à un chat d’un tel gabarit. A cette époque, il n’avait pas encore cette apparence débonnaire qu’on lui connaîtrait plus tard et qui finirait de le transformer en gros nounours. Nous étions face à une force de la nature et de caractère qui portait au yeux les stigmates des combats des chats des rues. Et cette force impressionnait d’autant plus qu’il n’avait pas besoin d’en faire la démonstration pour que s’impose le respect .
Elliott était chez lui, sur ses terres et j’eus alors la seule attitude possible afin de pouvoir continuer à l’observer : m’accroupir en mettant genou à terre. C’est ainsi que se marque le déférence envers tout être, dont on comprend qu’il est de la race des Seigneurs.
Nouveau flash, nouveau retour en arrière, cette fois sur une lumineuse matinée de début d’automne et le bruit de la cage de trappage qui se referme. Image d’un Elliott incrédule et prisonnier. Et Dieu s’il existe me sera témoin que cette cage était fort lourde !
A nouveau j’ai ressenti le sentiment alors éprouvé du désarroi , l’impression d’un sol qui se dérobe sous les pas, en revivant le souvenir de l’appel de la vétérinaire annonçant qu’Elliott venait d’être testé positif au FIV, et qui souhaitait savoir si elle devait poursuivre la castration ou l’endormir.
Et je me revois quelques heures plus tard, redéposant la cage de trappage sur le site.
A cet instant, j’avais encore un fol espoir. Celui qu’une fois la cage ouverte, Elliott ne la quitte pas et qu’il affirme ainsi haut et fort, qu’il était las de la vie d’errance. L’espace de quelques secondes, ses hésitations me firent penser que j’avais eu raison de céder à pareil espoir. Mon esprit ne cessait de lui répéter, ne sors pas, Elliott !
Amer et résigné, je le vis retrouver son territoire, longer un mur de l’ancien hôpital, et après s’être retourné dans ma direction, disparaître dans un conduit d’aération.
Et c’est un Elliott méfiant et fuyant qui désormais m’accueillerait sur les points de nourrissage.
Rêve brisé ?
Et bien des mois plus tard, eut lieu notre troisième rendez-vous. Le plus long, le plus dur aussi. Mais celui au cours duquel, tout allait s’accomplir.
Ce que j’avais espéré en vain en redéposant la cage de trappage sur le site, finit par se produire, même si je n’étais pas le destinataire de l’appel.
Par son comportement, Elliott finit par dire, enfin, qu’il était las de sa vie de baroudeur et Irène et Laura surent l’entendre. Nous n’avions aucune solution d’accueil pour lui mais l’inquiétude était grande et la décision fut prise de le sortir du site.
L’instant était venu de forcer le destin. Irène me l’amena donc un après-midi et Elliott occupa une chambre, chez moi, dans une maison qui se vidait et que je devais quitter quelques semaines plus tard. Les journées qui suivirent furent plus que douloureuses. Chaque nuit Elliott pleurait et gémissait, se cachant chaque fois que j’essayais de passer du temps avec lui dans la pièce, quand il ne se jetait pas violemment sur les vitres.
Terribles images ! L’avoir sorti de l’hôpital pour ne lui faire vivre que ces cruels moments de détresse ?
Dehors, un étrange vent d’hystérie se mit à souffler en tempête.
En réalité nous cherchions désespérément de l’aide et une solution d’urgence avant mon départ, alors que cette solution nous la connaissions tous déjà, nous l’avions devant les yeux depuis des années, et ce que les yeux ne pouvaient voir, les cœurs savaient le dire .
Il y avait bien longtemps déjà, que les destins d’Elliott et de Laura était scellés.
Qu’importait alors si dehors, la tempête continuait à faire rage. Il n’y eut pas plus belle journée dans l’histoire des chats de l’hôpital, que ce jour ensoleillé où je vins remettre Elliott à celle à qui il était destiné depuis toujours.
J’en respire encore toute la douceur et la volupté. Elliott avait enfin trouvé sa maison et tout était prêt pour l’accueillir. Fabuleuses images que celle de son installation !
Laura me redit une nouvelle fois ses craintes quant à l’adaptation de son protégé. Je la comprenais sans savoir trop quoi lui répondre.
Intérieurement, je souriais comme on sourit lorsqu’on est dans la certitude qu’une formidable histoire débute, une histoire magnifique.
Et puis, comme décidément Elliott ne pouvait pas me blairer, je finis par les laisser tous deux, poursuivre le beau rêve. Je repartis apaisé. Tout était accompli. C’est en descendant l’escalier que fut pris un nouveau rendez-vous, le dernier rendez-vous…
Aujourd’hui et aujourd’hui seulement, je clos définitivement le livre des chats de l’Hôpital.
Le Voyageur reprend sa route.
Il porte en son cœur chacun des chats qu’il a connu. Ils éclairent son chemin à jamais, et Elliott marche devant.
Tous ont le cœur léger...